Biographie

P. RAFAEL GARCÍA HERREROS UNDA

(Cúcuta, 17 janvier 1909 – Bogotá, 24 novembre 1992)


Le 24 novembre 1992 mourait à Bogota le P. Rafael García Herreros, sans aucun doute le plus prestigieux des eudistes colombiens du XXème siècle. Sur sa vie et son oeuvre j’ai publié un livre réédité en 2004. Dans ce travail toute la vie du P. Rafael est retracée depuis sa naissance à Cúcuta le 17 janvier 1909 jusqu’à sa mort dans la capitale de ce pays.

Il y est fait allusion à sa famille dans laquelle on trouve des religieux et des militaires, un patriotisme aux multiples facettes, et où sont détaillées ses études effectuées d’abord à Cúcuta, ensuite à Pamplona sous la direction des eudistes, puis à Usaquén pour ses classes de théologie et de philosophie, et plus tard à Rome et Fribourg ensuite où il manifestera toutes ses capacités intellectuelles.

Le P. Rafael consacra vingt ans de son ministère aux pauvres dans la formation des séminaristes, qui, à l’époque, était pratiquement la seule activité assumée par la Congrégation des eudistes dans la Province de Colombie et du Venezuela. Le P. Rafael exerça à Santa Rosa de Osos et Jericó, Mérida et Pamplona, San José de Miranda, Cartagena et Calí. Pendant toutes ces années, de 1934 à 1954, il occupa les chaires de grec et de latin, celle de philosophie avec en prime, quelques cours d’art chrétien et de géométrie. Les élèves gardèrent un bon souvenir de leur maître exigeant et rêveur qui leur ouvrait des horizons et leur dessinait des idéaux. Peut-être ses collègues de travail ne pensèrent-ils pas la même chose ; ils le jugeaient original, difficile dans l’application de la discipline et impossible à caser dans le cadre des règlements de l’époque.

Rafael García Herreros se servit de bien de ses traits autobiographiques et de ses échecs, de son abnégation et de l’effort ingrat de l’enseignement dans ses contes. Quelques 200 récits où il relate la vie d’un eudiste de la première moitié du XXème siècle : se lever tôt, prier, étudier, enseigner, corriger des devoirs et s’enfoncer dans l’obscurité d’une mine à la recherche d’un filon d’or qui est l’idéal recherché avec acharnement, ou se consacrer à sculpter des christs dans la personnalité des élèves.

La radio et la télévision

Le P. García Herreros ne se contenta pas d’écrire des contes, des drames, des traductions grecques et latines et même une vie de St Jean Eudes. Quand il était à Cartagena il créa une émission radio diffusée sur Radio Fuentes qu’il appela “L’Heure Catholique”. La durée et le contenu du programme l’amenèrent à chercher des formes plus adaptées, et en février 1950, il commença une émission qui allait le rendre célèbre : “El Minuto de Dios”.

De Cartagena le programme passa ensuite à Calí, Medellín et finalement à Bogotá. Mais ce qui lui offrit le plus grand appui et la plus grande diffusion, ce fut la télévision qui commençait alors dans le pays. La première émission fut diffusée le 1er janvier 1955. L’image du P. Rafael commença alors à se diffuser partout et il devint un invité permanent de chaque famille colombienne. Il apparut quelques 10.000 fois sur les écrans de la télévision. Il fut “El Padre Tele”.

Le style original et direct du P. Rafael, sa voix, son visage sévère, ses questionnements sociaux, sa ferveur religieuse, son amour de la Colombie furent les caractéristiques marquantes de sa “Minuto de Dios”. Mais plus que tout, son engagement en faveur des pauvres : nourriture, vêtements, terrain, logement, éducation. Tels étaient les thèmes et les projets qui se succédaient soir après soir et qui réveillèrent chez des milliers de personnes le désir de collaborer avec les plus nécessiteux.

C’est ainsi que vit le jour le quartier “Minuto de Dios”, avec ses milliers de logements, son collège et son musée, son théâtre et son université, l’église paroissiale et le centre de santé, la garderie et la “défense civile”1. C’était la construction d’un village faite brique après brique, les semailles dans un jardin, cultivé graine après graine ; c’était l’ouverture de l’autoroute du développement réalisée centimètre par centimètre avec un acharnement méconnu, une créativité sans cesse renouvelée et surtout une immense foi en Dieu.

L’aide matérielle donnée par le P. Rafael aux pauvres fut immense. De nombreuses familles en furent bénéficiaires, surtout quand les catastrophes naturelles frappèrent la Colombie les unes après les autres : tremblement de terre à Popayán, volcan del Ruiz, inondations des fleuves Cauca, Sinú et San Jorge ; glissements de terrains à Medellín. Dans tout le pays la présence de l’eudiste se fit sentir : forêts du Catacumbo, îles de San Andrés, montagnes du Cauca, Llanos orientales. Personne ne fut exclu de sa miséricordieuse charité : ni les indiens motilones, ni les narcotrafiquants, ni les prisonniers, ni les violents ou ceux qui prenaient les armes.

Un maître spiritue

Si la collaboration matérielle fut immense, l’apport spirituel avec lequel le P. Rafael enrichit les coeurs le fut bien plus encore: une minute chaque jour pendant quarante ans, pour penser à Dieu, parler au P. Céleste, pour adorer Jésus-Christ, pour invoquer le Paraclet, proposer le renouvellement de l’Eglise, prendre conscience des engagements que les baptisés doivent prendre pour construire sur terre un monde de justice, de liberté et de paix.

Le P. Rafael García Herreros fut un eudiste, pénétré jusqu’à la moelle de la doctrine de Jean Eudes. Quand il pensait au Verbe Incarné il s’abîmait en Lui : il l’adorait comme le Grand Prêtre de Dieu, il l’imaginait au moment de la Création quand le Verbe Eternel donna la vie à toutes choses, car rien ne se fit sans Lui. Il priait le Christ sur la croix, immolé par amour, et il s’agenouillait spirituellement à ses pieds couverts de plaies pour les embrasser et s’enduire du sang divin. Le P. García Herreros aimait le Coeur du Seigneur. Il savait que rien ni personne pouvait le séparer de Lui, et il voulait s’abîmer dans cet amour haut, profond, immense, qui dépasse toute imagination. Quand le P. Rafael parlait de Jésus, de ses lèvres jaillissaient des mots comme d’une source. Tout lui parlait du Christ : la mer, les étoiles, les pierres et les fleurs, mais surtout le beau visage des pauvres sur lesquels les larmes et les fatigues avaient creusé des sillons.

C’est avec raison que le P. Clément Guillon, supérieur général, lui écrivit en 1981 : “En ce qui me concerne, je dois vous dire toute l’admiration que j’ai pour la magnifique oeuvre d’animation sociale et surtout spirituelle que vous avez menée et que vous poursuivez.

J’ajoute que j’ai toujours été impressionné par l’esprit eudiste dont vous faites preuve, la profonde affection que vous avez pour Saint Jean Eudes et la connaissance profonde de la vie et de la doctrine de notre fondateur, votre attachement indéfectible à notre Congrégation et le souci que vous avez de la faire connaître et aimer surtout chez les jeunes.”

Et le P. Renald Hébert, également supérieur général, écrivit : “Ce qui se passe au Minuto de Dios me paraît très important. On y trouve un ensemble d’activités apostoliques qui reflète la tradition et l’histoire de la Congrégation : une incessante activité missionnaire et d’évangélisation à travers la paroisse, le Renouveau Charismatique et autres services ; une action de formation dans les services de l’éducation et pour le Renouveau ; les projets sociaux qui se développent de manière impressionnante ; les projets de la pastorale des jeunes et de la pastorale pour les vocations ; la recherche constante de renouveau spirituel, l’aide aux prêtres, les retraites pour les prêtres, etc…”

Et un autre supérieur général, le P. Pierre Drouin, écrivit ce qui suit : “De nombreux souvenirs me viennent à la mémoire du temps que j’ai vécu au Minuto de Dios, quand j’étais professeur de théologie à la Javierana, entre 1973 et 1979. Avec l’accueil qui caractérise le P. Diego, j’ai partagé avec lui et les P. Jorge Jiménez, Ovidio Muñoz des moments de profonde vie communautaire, dans la joie et la simplicité. Ce fut une époque très profitable pour la communauté pour penser d’autres types de formation …, un séminaire du soir…, de petites communautés…et à la participation de tant de laïcs, femmes et hommes à la tâche pastorale.

L’ouverture et la liberté créative que je découvris au Minuto furent pour moi très remarquables. Des ateliers, des rencontres de toute sorte, pensés, priés et réalisés à partir d’intuitions. Autre moment agréable : celui où la brochure “Le Corps en action” du P. Diego vit le jour : la première de nombreuses publications.”

“A cette époque je découvris le Renouveau Charismatique. Le P. García me dit à mon arrivée : Bon, P. Pedro, ici nous ne te donnerons pas beaucoup de choses, mais nous te donnerons Jésus-Christ.” Cette phrase fut pour moi une grande réalité : à moi et à beaucoup d’autres, cette phrase paraît être la plus significative pour définir ces cinq ans. Les personnes qui ont dirigé le Minuto de Dios et beaucoup de ceux qui y ont travaillé, sont avant tout, des témoins de Jésus-Christ.”

Faire mémoire c’est ouvrir de nouvelles voies, aller de l’avant, créer l’avenir, nous laisser porter par l’espérance chrétienne. Sans mémoire l’espérance s’estompe et s’éteint. Le Minuto de Dios doit tourner son regard vers l’avenir … vivre aujourd’hui l’audacieuse intention qui fut celle du P. García Herreros en fondant le Minuto il y a cinquante ans, et adapter la richesse de son charisme aux changements d’époque, avec sagesse et une grande docilité à l’Esprit Saint. Son charisme de fondation n’est pas une réalité statique du passé. C’est une force dynamique qui se vit et se définit aujourd’hui dans le creuset de l’histoire de la Colombie et des églises particulières où le Minuto de Dios est présent.

L’intuition initiale du P.García Herreros doit se développer et croître avec la généreuse contribution de tous et de chacun. Faire mémoire c’est être ouverts, disponibles pour ouvrir de nouvelles voies dans l’Eglise, comme déjà beaucoup le font avec dévouement. Je veux rendre grâce avec toute la communauté du Minuto de Dios pour le don de ce grand projet fait à l’Eglise et à la société colombienne pendant cinquante ans ; pour les eudistes et tant d’autres qui ont voulu vivre en donnant leur vie ; pour la mission de ce beau projet ; pour les frères qui

aujourd’hui dirigent le Minuto de Dios, particulièrement le P. Diego et les autres responsables qui sont avec lui. Nous nous souvenons aujourd’hui de cette immense tâche que vous vivez avec l’esprit d’amour et de charité chrétienne et eudiste qui vous habite et qui fait que vous réalisiez un travail qui aide tous à aller de l’avant et à vivre avec plus de force leur dévouement. Ad multos annos !”

Soir après soir, le P. Rafael en appelait aux droits humains, parce que chaque être humain est fils de Dieu. Chacun de ses programmes rappelait que les riches ne sont que les gérants des biens de Dieu.

C’est de cette façon que le P. Rafael pénétra dans la conscience de la Colombie, qu’il orientait ses concitoyens et il leur répétait que si la décision nécessaire est prise, il est possible de vaincre la misère et construire la ville idéale comme celle qui, comme le dit Saint Augustin, se construit sur l’amour.

Rafael García Herreros fut un rêveur d’utopies, mais il se distingue des autres idéalistes en ce qu’il réussit à transformer ses rêves en réalités tangibles : la visite aux indiens motilones ; le monument à la Vierge de la mer en pleine baie de Carthagène ; le banquet le plus cher du monde dont l’unique menu était pain et bol de soupe ; la construction d’un quartier sans avoir un sou en poche ni un centimètre carré de terrain ; avoir amené Pablo Escobar à se rendre aux autorités alors que des escadrons de détectives spécialisés avaient échoué : la libération des otages, sans payer de rançon ; l’université.

Mais le plus bel enseignement du P. Rafael et le plus beau moment de sa vie, ce fut sa mort. Il vécut en y pensant toujours jusqu’à arriver à le réaliser merveilleusement. Au début il y pensait avec crainte, ensuite avec incertitude, et finalement avec la confiance absolue de celui qui se sait dans les mains de Dieu.

Pour lui, mourir fut se préparer à un banquet. C’est pourquoi il choisit un moment adéquat : quand dans l’hôtel Tequendama avait lieu le 32ème Banquet du Million, tandis que les participants mangeaient du pain et buvaient du vin, comme le fit Jésus dans la Dernière Cène, il alla partager le banquet du Royaume, où il fut invité parce qu’il avait découvert le visage du Seigneur chez ceux qui avaient faim, ceux qui avaient soif, ceux qui étaient nus, les sans abris, les prisonniers.

Rafael García Herreros fut un homme, un colombien, un eudiste et un prêtre exemplaire, et la gloire de la Communauté qui le compta dans ses rangs.


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